Paul Garde, Résumé : Comment se crée un futur. Le cas des langues slaves
Paul Garde
Université de Provence
Comment se crée un futur : le cas des langues slaves.
Résumé
Le futur, en tant que catégorie morphologique, est dans les langues une formation instable, qui peut être absente, et qui dans l’histoire peut apparaître, se renouveler, disparaître.
Le slave, ayant perdu le futur indo-européen (conservé notamment en lituanien), a connu une période sans futur morphologique, bien attestée par les textes vieux slaves (IXe siècle). Là l’opposition sémantique : « fait en cours de déroulement / fait prévu dans l’avenir » est exprimée par l’opposition morphologique d’aspect : « présent de verbe imperfectif / présent de verbe perfectif ». Ce dernier remplit donc presque toutes les fonctions d’un futur, mais se retrouve aussi avec sa valeur purement aspectuelle dans divers contextes où l’opposition temporelle est neutralisée. Il serait abusif de l’appeler « futur ». Quant aux verbes imperfectifs, ils n’ont pas de moyens propres d’exprimer le futur. Cas particulier : le verbe « être », seul à posséder un futur, puisque à un même infinitif (byti) correspondent deux présents : l’un imperfectif (esmǐ) et l’autre perfectif (bọdọ), valant le plus souvent futur « je serai ». Ce dernier, joint au participe parfait des verbes perfectifs, peut former une sorte de futur antérieur : bọdọ napisalŭ « j’aurai écrit ».
Plus tard, les langues slaves tendent à compléter les lacunes de ce système en se dotant d’un futur périphrastique. Divers auxiliaires sont employés ici ou là : « avoir », « commencer », « vouloir » etc. avec infinitif, « être » avec infinitif ou participe parfait. Mais ce processus a des aboutissements différents au nord et au sud :
— au nord (russe, polonais, tchèque etc.) il ne concerne que les verbes imperfectifs, principalement avec l’auxiliaire « être » Ainsi se crée un futur imperfectif, r. budu pisat’ « j’écrirai ». Le futur perfectif reste exprimé par le présent napišu, sans que disparaissent les autres valeurs de cette forme.
— au sud, le futur périphrastique est créé pour tous les verbes. Le présent perfectif perd ses emplois de futur, ne conservant que ses autres valeurs. On a donc un parallélisme parfait entre futur perfectif et imperfectif, mais avec des outils morphologiques différents selon les langues :
- slovène (et dialecte kajkavien du croate) : « être » + participe parfait (ex-futur antérieur) : bom pisal, bom napisal.
- serbo-croate : « vouloir » (conjugué) + infinitif : hoću pisati (pisat ću), hoću napisati (napisat ću)
- bulgare (et macédonien) : « vouloir » réduit à une particule invariable šte + présent (conjugué) : šte piša, šte napiša
Cette évolution montre la création progressive d’un futur, avec utilisation de l’opposition aspectuelle, et la dissipation progressive (plus complète au sud qu’au nord) des déséquilibres issus de cet emploi de l’aspect pour l’expression du temps.
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