Séminaires 2012-2013 : L'auxiliaire
Aïno Niklas-Salminen (AMU), Résumé : L’auxiliaire, le verbe opérateur et les autres verbes « secondaires » dans le syntagme prédicatif en finnois
On verra que le verbe « secondaire » peut être un auxiliaire qui est un pur outil grammatical utilisé pour la conjugaison du verbe. Il peut également être un verbe opérateur qui ajoute au verbe principal des indications aspectuelles ou modales. Il est intéressant de constater que le verbe « secondaire » peut aussi avoir un rôle expressif. En effet, sa présence peut être indispensable pour mieux saisir les nuances nécessaires que le verbe principal, trop neutre, est inapte à exprimer. Il peut également être chargé d’attirer l’attention sur l’action désignée par le verbe principal.
Nicolas Tournadre, Résumé : L’auxiliation: une stratégie globale pour indiquer le TAM et l’évidentialité en tibétain Approche contrastive avec les verbes résultatifs du mandarin
L’auxiliation: une stratégie globale pour indiquer le TAM et l’évidentialité en tibétain
Approche contrastive avec les verbes résultatifs du mandarin
Nicolas Tournadre
Dans la partie introductive, je vais aborder la typologie des auxiliaires et leur relation à d’autres types de grammaticalisation verbale notamment les verbes support, les verbes sériels et les explicateurs (Anderson 2006, Brinton 2008, Heine 1993, Montaut 1991, Simon 2008, Tournadre et Jiatso 2001, Vittant 2006).
Le cheminement de grammaticalisation tel qu’il a été formulé par Hopper & Traugott (2003)
Full verb > (Vector verb)[light verb] > Auxiliary > Clitics > Affix pose certains problèmes qui seront brièvement abordés.
Ensuite, après avoir examiné certaines caractéristiques du marquage du TAM en mandarin lié à l’utilisation des verbes résultatifs, je me concentrerai sur les auxiliaires du tibétain en montrant que la stratégie de l’auxiliation verbale a été, pendant plus d’un millénaire, la stratégie fondamentale pour indiquer les valeurs temporelles, aspectuelles, mais aussi celles de l’évidentialité (ou la « médiativité ») et de la modalité épistémique. Cela est vrai non seulement en tibétain littéraire classique mais aussi dans l’ensemble des langues tibétiques dérivées du vieux tibétain et parlées dans les six pays de l’aire tibétophone (Chine, Inde, Bhoutan, Népal, Pakistan et Birmanie).
De fait, l’émergence de l’évidentialité et de la modalité épistémique en tibétain apparaît intrinsèquement liée au développement des auxiliaires.
Références bibliographiques
Anderson, G.D.S. 2006. Auxiliary verb constructions.
Barthelemy, N. [Kunakujina], 2011, Verbes résultatifs exprimant l’accomplissement de l’action en chinois contemporain. Mémoire de M2, Université de Provence.
Brinton, L.J. 2008, « Where grammar and lexis meet ». in Theoretical and empirical issues in grammaticalizaton. Elena Seoane and Maria José Lopez. Johns Benjamins.
Heine B. 1993, Auxiliaries: Cognitive Forces and Grammaticalization.
Hopper & Traugott 2003, Grammaticalization.
Lessan-Pezechki, H. 2002, Système verbal et deixis en persan et en français. L’Harmattan.
Montaut A., 1991 Voix, aspect, diathèses en hindi moderne. Syntaxe, sémantique, énonciation, Leuven, Peeters.
Oisel, G. 2013, Morphosyntaxe et sémantique des auxiliaires et des connecteurs du tibétain littéraire. Etude diachronique et synchronique, Thèse de Doctorat, Université de Paris 3.
Simon C. 2008 « Composition par incorporation et verbes support en tibétain standard ». Mémoire M1, Université de Provence.
Tournadre, N. and Konchok Jiatso, 2001 “Final auxiliary verbs in literary Tibetan and in the dialects”, in Person and Evidence in Himalayan Languages. LTBA special issue, Spring 2001, p. 177-239,
Vittrant, A. 2006. « Les constructions verbales en série, une nouvelle approche du syntagme verbal birman », Bulletin de
Vokurkova, Z. 2011, “Epistemic modalities and evidentiality in Standard Spoken Tibetan. Cahiers Chronos; Vol. 23, p117
Calendrier et thème
Thème de l'année 2012-2013: L'auxiliaire
Calendrier des séminaires 2012-2013
Jeudi 8 novembre 2012: exposé de Christian Touratier (AMU) : Les verbes dits auxiliaires
Jeudi 13 décembre 2012: exposé de José Deulofeu et Lolita Bérard (AMU) : Dans quelle mesure les verbes "ponts" (en gras dans l'exemple) autorisant les contrôles à longue distance dans les énoncés du type : "c'est ce que je crois qu'il fallait faire" sont-ils des verbes auxiliaires ?
Jeudi 14 février 2013: exposé de Alvaro Rocchetti (Lille 3), Sur les traces d'Antoine Meillet : le développement des auxiliaires, du latin aux langues romanes
Jeudi 14 mars 2013: exposé de Daniel Véronique (AMU), Auxiliaires et pré-verbes en morisien, résumé et exemplier
Jeudi 11 avril 2013: exposé de Nicolas Tournadre (AMU), L’auxiliation: une stratégie globale pour indiquer le TAM et l’évidentialité en tibétain
Approche contrastive avec les verbes résultatifs du mandarin
Jeudi 30 mai 2013: exposé de Aïno Niklas-Salminen (AMU), L’auxiliaire, le verbe opérateur et les autres verbes « secondaires » dans le syntagme prédicatif en finnois
Daniel Véronique, Résumé : Auxiliaires et pré-verbes en morisien
Résumé de l'exposé du jeudi 14 mars 2013:
Résumé :Auxiliaires et pré-verbes en morisien
Georges Daniel VERONIQUE
En morisen, comme en bien d’autres langues, il existe des unités verbales « secondaires » au sein du syntagme prédicatif, qui sont porteuses de valeurs aspectuelles, modales ou des valeurs de voix, qui sont dans une relation de nexus, et qui ne peuvent être confondus avec des marqueurs de Temps, d’Aspect et de Mode (TAM). Les exemples suivants attestent de certaines de ces unités :
a) modal + V
1. li oblize vini
il doit venir
b) marqueur + verbe de phase + V
2. li fin fini vini
3pers perfectif finir de venir
il est véritablement arrivé
3. li komans rod lager
Il commence (à) chercher la bagarre
c) verbe de sensation + V
4. li tan sante
il entend chanter.
d) verbe de mouvement + V
5. li degaze vin sers pol
il (se) dépêche venir chercher Paul
e) causatif + V
6. li fer pol galupe
Il fait Paul courir / s’enfuir
f) tour passif en gêj
7. li genj pike (ar mustik)
il a été piqué (par des moustiques)
Valdman 1978 indique que l'auxiliaire peut être déterminé par des marqueurs TAM indépendamment du prédicat. Ainsi,
8. li ti bizin (f)in fini manze avan li vini (il aurait dû avoir mangé avant de venir)
Valdman ( 1978 : 223) oppose également des suites Semi-auxiliaire/ auxiliaire + Verbe focal à des suites Verbe + Verbe :
9. li vin ruz (il devient rouge = il rougit) (vin est semi- auxiliaire ou préverbe)
10. li vin manze lakaz (il vient manger à la maison), (vin est verbe de mouvement).
Je désignerai provisoirement des unités comme oblize (obliger), fini (finir),vin (venir), komans (commencer) etc. comme des auxiliaires et des préverbes. Baker (1973) distingue les préverbes des auxiliaires en fonction de leurs combinaisons avec des verbes statifs ou dynamiques. Selon Baker, les auxiliaires ne peuvent apparaître que dans le contexte de verbes dynamiques alors que les préverbes se combinent indifféremment avec des verbes statifs ou dynamiques. Selon, les théories syntaxiques de référence, on pourra considérer que certains des énoncés cités plus haut, comme 4 ou 6, comme produit par une montée du verbe focal, ou comme des phénomènes de nexus .
Dans cette communication, je voudrais m’attarder sur les propriétés syntaxiques de divers types d’auxiliaires et de pré-verbes en morisien :
-
les modaux (bizin, kapav, dévêt etc.)
-
les marqueurs de diathèse causative (fer, les) et passive (genj)
-
les verbes de phase (sort, komans etc.).
Des rapprochements seront effectués avec les créoles atlantiques, tout particulièrement le haïtien.
J’essaierai de dégager les propriétés que ces unités partagent, et au-delà de caractériser l’auxiliation.
Références
Baker Ph., 1973, Kreol. A description of Mauritian Creole, London, C. Hurst & Co.
DeGraff M., 1992, Creole grammars and the acquisition of Syntax : The case of Haitian, PhD. dissertation, University of Pennsylvania.
Valdman, A. 1978. Le créole : structure, statut et origine. Paris, Klincksieck
CLAIX-Exemplier-Daniel-V--ronique.pdf
Alvaro Rocchetti, Sur les traces d'Antoine Meillet : le développement des auxiliaires, du latin aux langues romanes
Exposé du jeudi 14 février 2013:
Sur les traces d’Antoine Meillet :
le développement des auxiliaires, du latin aux langues romanes.
Alvaro Rocchetti, Professeur émérite,
Université de la Sorbonne Nouvelle – Paris 3
Nos langues romanes ont tellement développé la notion d’auxiliaire — des verbes antéposés à des participes passés et leur servant de support morphologique — que nous avons peine à concevoir qu’il n’en a pas toujours été ainsi. Il s’agit même d’une évolution relativement récente puisque le latin et certains dialectes italiens actuels ne présentent, régulièrement, qu’un seul auxiliaire — esse—, que certaines langues romanes, comme le français, n’en possèdent que deux — être et avoir —, cependant que d’autres en ont trois, comme l’italien — essere, stare et avere — voire quatre, comme l’espagnol — ser, estar, haber et tener. Etudier l’auxiliation dans les langues romanes revient donc à retracer comment cette notion apparaît avec le latin et comment elle se développe ensuite dans les différentes langues néo-latines. C’est aussi expliquer en quoi la sémantèse de certains verbes les prédispose à devenir des auxiliaires et quelles modifications elle subit lorsqu’elle s’insère dans les relations syntaxiques strictes qui caractérisent la morphologie verbale de l’auxiliation. Les études de sémantique comparée des langues romanes que nous avons précédemment conduites1, nous ont en effet convaincu qu’il existe un lien entre les structures syntaxiques dans lesquelles les mots sont imbriqués et les modifications sémantiques qu’ils manifestent. Nous postulons, dans la présente étude, qu’il en est de même pour les verbes appelés à prendre en charge la fonction d’auxiliaire.
Une question reste néanmoins sous-jacente à chaque instant de cette évolution : pourquoi une langue procède-t-elle à ce “toilettage” des instruments qu’elle s’est elle-même donnés lors d’une évolution antérieure et que deviennent les anciennes formes : disparaissent-elles purement et simplement ? co-existent-elles avec les nouvelles formes (au moins pendant un certain temps) ? ou trouvent-elles de nouveaux créneaux d’utilisation ? Comme l’expression de la voix et de l’aspect à l’aide d’auxiliaires est largement documentée dans l’histoire linguistique des langues romanes et qu’elle se poursuit encore sous nos yeux, il est tentant de chercher à répondre à ces questions en profitant de la masse considérable d’attestations dont nous disposons depuis le latin.
La situation latine est connue : l’auxiliaire esse était régulièrement utilisé, pour le perfectum du médio-passif : il venait compléter le participe passé issu de l’adjectif verbal en –to : laudatus sum ‘j’ai été loué’, secutus sum ‘’j’ai suivi’ ou ausus sum ‘j’ai osé’. Les raisons de cet état des choses sont moins connues : pourquoi l’auxiliaire esse, appelé à un grand avenir dans les langues romanes, apparaît-il en premier au perfectum du passif ? Ou encore, en inversant la question, qu’est-ce qui prédispose le perfectum du passif à devenir la première forme périphrastique de la morphologie verbale latine ? Pour répondre à cette question, nous devons poser quelques principes méthodologiques.
L’évolution des langues peut être comparée au déplacement des icebergs. Comme ceux-ci, en effet, les faits linguistiques présentent un double aspect. Ils sont, d’une part, parfaitement visibles puisque leur principale caractéristique est justement d’être perçus par les humains et de servir ainsi de support à la communication entre les interlocuteurs : on peut voir les gestes et mimiques de celui qui parle, entendre les sons qui sortent de sa bouche ou bien voir et lire les signes qu’il trace sur une feuille, un écran ou un tableau. Mais il ne s’agit là que de la partie visible de la langue car il existe, en effet, une partie cachée, infiniment plus étendue et massive qui, comme dans le cas de l’iceberg, soutient la partie visible, reçoit les impulsions des courants marins et explique les dérives. Sans cette partie cachée, la partie visible de l’iceberg s’effondrerait : sans le travail réalisé, dans le silence, avant l’émergence de la langue au grand jour, la partie percevable de la langue ne serait que simple bruit, cris, assurément pas parole. Celui qui tente d’expliquer l’évolution des langues en ne tenant compte que de la partie visible se trouve dans la situation de celui qui prétendrait expliquer le déplacement des icebergs par le seul effet des vents sur la partie émergée. Comment, dans ce cas, rendre compte du déplacement contre le vent de l’iceberg quand celui-ci est poussé par des courants marins contraires agissant sur la partie immergée ? Pour expliquer les évolutions contradictoires apparentes, la linguistique historique utilise une terminologie appropriée — par exemple, assimilation / dissimilation, évolution régulière / irrégulière, spontanée / analogique, etc. — qui, certes, décrit les phénomènes observés, mais ne les explique pas véritablement. L’explication ne peut en effet venir que de la compréhension de la place et du rôle que le phénomène occupe dans l’évolution du système. Or le système n’est pratiquement jamais décrit en tant que tel puisque, par définition, il fait partie de l’invisible : il est ce qui relie les formes les unes aux autres, pas ce que les formes paraissent être. En étudiant le visible et en s’efforçant d’ignorer l’invisible – parce que moins « scientifique », moins « certain » –, les linguistes héritiers du positivisme se privent de la possibilité de comprendre l’évolution de l’objet qu’ils étudient. Nous nous proposons, dans cette communication, d’en donner un exemple en faisant l’analyse de la manière dont un éminent linguiste — Antoine Meillet — a rendu compte de la création des auxiliaires au cours de l’évolution vers les langues romanes.
1 Le site < http://chercher.marcher.free.fr > présente quelques unes de ces études.