Françoise Douay, Morphologie ou sémantique ? La querelle des cas dans la France des Lumières
Françoise Douay, Résumé : Morphologie ou sémantique ? La querelle des cas dans la France des Lumières
Françoise DOUAY
Morphologie ou sémantique ? La querelle des cas dans la France des Lumières
Résumé
Dans le sillage de Jean-Claude Chevalier 1968 (Histoire de la syntaxe. Naissance de la notion de complément dans le grammaire française (1530-1750), Droz) et de Sylvain Auroux 1994 (La révolution technologique de la grammatisation, Mardaga), j’admets qu’au XVIIIe siècle, le mouvement dit de la Grammaire Générale et Raisonnée a remplacé, dans la description des langues du monde, le modèle et la métalangue de la grammaire latine par une langue-pivot plus abstraite qui conserve certaines notions générales anciennes (Nom, Verbe, Préposition...) et en rejette d’autres –notamment Cas- au profit de notions nouvelles, dont certaines -Ordre des mots, Complément- se sont, en grammaire française, naturalisées.
En 1660, dans leur Grammaire Générale et raisonnée, les MM. de Port-Royal, Antoine Arnaud et Claude Lancelot, usent encore des Cas pour décrire simultanément les « manières différentes de signifier » et les « différentes inflexions » des Noms, y compris français : « Nominatif : Un crime si horrible mérite la mort. Accusatif : Il a commis un crime horrible. Ablatif : Il est puni pour un crimehorrible. Datif : Il a eu recours à un crime horrible. Génitif : Il est coupable d’un crime horrible. ». En 1799 au contraire, dans ses Principes de grammaire générale, Mis à la portée des enfans, et propres à servir à l’étude de toutes les langues, Antoine-Isaac Silvestre de Sacy ne parle, au niveau le plus abstrait, que de « rapports entre un terme antécédent et un terme conséquent, aussi appelé complément », rapports qui peuvent être de type NV, NN, NAdj ou PP, et dont « l’exposant », conjonction pour PP, préposition, ordre des mots ou variation dans la terminaison, ou quelque mixte de ces procédés, varie d’une langue à l’autre ou d’un secteur à l’autre dans la même langue.
Si Dumarsais, dans les articles Ablatif vs Datif, Cas, Construction vs Syntaxe, de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (1751-1756) est l’artisan le plus résolu de l’abandon du Cas au profit du Complément dans la description de la langue française, ce mouvement général ne va pas sans remous, regrets et distinguos, comme je le montrerai à partir du parallèle des Cas du Nom et des Modes du Verbe dans la Grammaire raisonnée de Mme Du Châtelet, ainsi que dans les « Tables des pronoms, conjoints et disjoints » établies par le Père Buffier dans sa Grammaire française sur un plan nouveau de 1709, avant d’aborder, si j’en ai le temps, les épineuses questions soulevées par Beauzée lorsqu’il examine les « cas » et les « affixes » de l’arménien, du lapon et du péruvien.