Cercle Linguistique d\'Aix-en-Provence

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Daniel Véronique, Résumé : Les relations de nexus dans un créole français, le mauricien

Les relations de nexus dans un créole français, le mauricien

 

Georges Daniel VERONIQUE

 

Présentation

 

Cette intervention poursuit deux objectifs : l’un concerne la description du mauricien, l’autre une interrogation sur l’utilité de la notion de nexus au sens de Jespersen, pour décrire des faits syntaxiques, en principe non associés, du mauricien. Je commencerai par rappeler quelques aspects de la notion de nexus chez Jespersen, tout particulièrement sa hiérarchie de rangs entre unités, propositions etc. selon leur fonction de « tête », et son rôle dans la définition des relations de jonction et de nexus. Je présenterai ensuite brièvement quelques caractéristiques grammaticales (morphologiques et syntaxiques) du mauricien. Je montrerai les questions de description grammaticale que soulève de l’organisation morphosyntaxique de cette langue et les difficultés qu’elle pose à la mise en œuvre de la notion de nexus. Je m’interrogerai pour conclure sur ce qu’apporte la notion de nexus à la description des relations grammaticales dans cette langue.

 

 

***

 

Plan

 

0. Introduction

 

1. La notion de nexus chez Jespersen (les 3 rangs, jonction et nexus, les bases de sa typologie des nexus)

 

2. Quelques caractéristiques « morphosyntaxiques » du mauricien

 

3. Questions pour la description grammaticale du mauricien

 

4. Une typologie des nexus en mauricien

 

5. Discussion

 

 

 

***

 

2. Quelques caractéristiques « morphosyntaxiques » du mauricien

 

 

 

a) L’indistinction des classes lexicales (par rapport à la fonction prédicative)

 

 

 

1. en lager in leve (une bagarre a éclaté)

 

2. li n lager ek bug la (il s’est battu avec l’homme)

 

 

 

b) L’absence de différenciation entre verbe fini et verbe non fini : l’alternance verbale en mauricien (VØ ~Ve)

 

 

 

Selon Baker (1972 : 98), environ 70 % des verbes du mauricien (± 1 000 verbes) connaissent une alternance morphologique qui implique la suppression de la voyelle finale, en règle générale e, d’où mãze > mãz (manger), et quelques autres modifications phonologiquesUn certain nombre d’autres verbes ne perdent pas leur voyelle finale, par exemple balie (balayer), aste (acheter) et mõtre (montrer).

 

 

 

Facteurs déterminant l’emploi de Ve :

 

 

 

i) la position finale du syntagme verbal détermine l’emploi de la forme longue alors que la forme courte est employée quand le dernier argument suit le verbe.

 

 

 

(3) mau. kõbjê liv to n gênje ? (combien de livres as-tu reçu ?)

 

(3’) mau. mo n gêj trwa liv (j’ai reçu trois livres).

 

 

 

ii) La forme longue est également usitée dans des contextes emphatiques,

 

 

 

(4) mau. to n tan sa nuvel ? (vous avez entendu cette nouvelle ?).

 

(4’) mau. to n tande sa nuvel ? (vous avez entendu cette nouvelle ?).

 

 

 

iii) La forme longue est usité dans des contextes de réduplication lexicale

 

 

 

(5) mau. mo n al marsmarse (je suis allé me promener).

 

On notera le contraste avec 5’,

 

(5’) mau. mo n marse marse (j’ai marché, marché),

 

où les deux prédicats sont dans un rapport de consécution.

 

 

 

iv) Dans des prédicats verbaux complexes que l’on peut analyser comme des contextes de consécution (Corne et Burnet 1997) ou de constructions sérielles (Hazaël-Massieux 1996), la forme Ve est la forme usuelle du verbe focal ou des verbes focaux (Valdman 1978).

 

 

 

(6) mau. li degaze galupe ale (il se dépêche cours va = il se précipite).

 

 

 

v) lors de « déplacements » du prédicat

 

(7) mau. mãze li ti kapav mãze me bwar dokter ti defan li (manger il pouvait manger mais le docteur lui a défendu de boire, Corne 1997 : 189).

 

Pour Corne, mãze extraposé en 7 est un infinitif.

 

 

 

vi) La forme verbale longue est également l’un des vecteurs du ‘passif-résultatif’

 

 

 

(8) mau. divã fin kas brãs (le vent a cassé les branches)

 

(8’) mau. brãs fin kase (ar divã) (les branches ont été cassées par le vent).

 

En 8.’, l'emploi de kase pourrait être assimilée à un emploi adjectival.

 

 

 

vii) Dans le contexte d’une prédication complexe où les sujets sont co-référents, VØ est employé dans le prédicat principal et Ve dans la subordonnée, d’où :

 

 

 

(9) mau. mo pãs sorti tãto (je pense sortir ce soir),

 

(9’) mau. mo mazin (pu) sorti tãto (je pense (à) sortir ce soir),

 

mais

 

(10) mau. mo mazine Pol pu sorti tãto (je pense que Paul sortira ce soir),

 

(10’) Mau. mau. mo pãse Pol pu vini tãto (je pense que Paul viendra ce soir).

 

 

 

L’attestation de Ve en 10 et 10’ dans la principal peut être interprétée comme un indice hypotaxique : les complétives en 9 et 9’ sont davantage liées au prédicat principal qu’en 10 et 10’.

 

 

 

c) L’absence de copule dans les énoncés équatifs 

 

11. pol profeser (Paul est enseignant)

 

 

 

d) L’absence de morphologie grammaticale et un ordre des mots contraignant

 

12. pol ãvoj direkter let (Paul envoie une / la lettre au directeur)

 

12’. Pol ãvoj let direkter (a. Paul envoie la lettre du directeur b. Paul envoie une lettre au directeur)

 

 

 

En l’absence de phénomènes d’accord entre le premier argument et le prédicat, on peut s’interroger sur la nature du lien entre le prédicat et ses arguments.

 

 

 

3. Questions pour la description grammaticale du mauricien

 

 

 

i) le rôle de sujet est identifiable uniquement par sa position (et son sens) ; présence « optionnelle » du sujet, si récupérable dans le contexte

 

ii) il est impossible d’opérer une distinction entre forme finie et non finie (infinitif, participe, gérondif du verbe) ;

 

iii) l’emploi d’un relateur (ki) dans la subordonnée est facultative

 

13. pol dir direkter (ki) li pe ale (Paul dit au directeur qu’il est  en train de partir)

 

 

 

4. Une typologie des nexus en mauricien

 

 

 

1. Les nexus dépendants

 

 

 

14. li pen lakaz ruz (a. il a peint la maison en rouge ; b. il a peint la maison rouge)

 

15. li tur lakaz vid (a. il voit la maison vidé de ses habitants ; b. il voit une /la maison vide)

 

16. mo le mãze pare sêk er (je veux (que) le repas soit prêt à 5 heures)

 

17. li n tom malad (il est tombé malade) ~li n malad (il a été malade)

 

18. Sinema fini, nu fin prã bis (pu) vini (le film terminé, nous avons pris le bus pour rentrée)

 

19. Lager deklare, li sove (La guerre ayant été déclaré, il s’est sauvé)

 

 

 

2. les substantifs dépendants

 

 

 

20. li gêj kudmê (il a reçu un coup de main)

 

21. li don lamê fer sa (il a donné un coup de main pour faire cela)

 

 

 

3. les verbes dépendants

 

 

 

22. li mãk truv lamor / li mãk (gêj) nwaje (il a failli mourir / il a failli se noyer)

 

23. li n fatige rod travaj (il est fatigué de rechercher un emploi)

 

24. li n pase gêj / ena de minit (il est passé, il ya 2 minutes)

 

25. mo tan li sãte (je l’ai entendu chanter)

 

26. li prâ ale pa lé arête em (il commence (il) ne veut pas s’arrêter même)

 

27. li tan dir bug la fin ale (il a entendu dire que l’homme est parti)

 

 29. li bien bet vini (il a été bien bet de venir)

 

 

 

 

 

Références

 

Baker Ph., 1973, Kreol. A description of Mauritian Creole, London, C. Hurst & Co.

 

Corne C., 1977, Seychelles Creole Grammar, Tübingen, Gunter Narr Verlag.

 

Corne C., 1999, To emphasize the verb : verb fronting in Isle de France Creole, in C. Corne, From French to Creole. The development of new vernaculars in the French colonial world, London, University of Westminster Press, p. 189-196.

 

Corne C. et Burnet C., 1997, La coordination consécutive aux Mascareignes et aux Seychelles : un reflet de conceptualisations africaines, in M.-C. Hazaël-Massieux et D. de Robillard (éds.). Contacts de langues, contacts de cultures, créolisation, Paris, L’Harmattan, p. 209-224.

 

 

 



19/03/2013
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