Lucien Pernée, Résumé : Rection et prépositions en grec ancien : résumé
Lucien Pernée
Rection et prépositions en grec ancien
« On dit qu’un mot régit ou gouverne un cas ou un mot quand la forme casuelle du mot régi, quelle que soit d’ailleurs sa valeur primitive et fondamentale, apparaît dans l’usage comme déterminée par la nature du mot régissant » (Marouzeau, 1969, Lexique de ma terminologie linguistique, article Régir).
Pour distinguer entre les deux types d’assemblage, nos principaux manuels de syntaxe grecque ont adopté le critère de la rection, hérité du Moyen Age. Les prépositions se définissent alors comme un ensemble de mots invariables régissant un ou plusieurs cas. Avec deux conséquences perverses : la classe des prépositions s’ouvre à des mots d’origines diverses autres que les dix-huit initialement inventoriés (d’où l’opposition : prépositions proprement / improprement dites), et surtout, une contradiction se fait jour entre la rection, qui veut que le cas du régime soit déterminé par le mot régissant, et le fait que plusieurs cas puissent être régis par une même préposition en fonction du sens. La justification d’ordre diachronique, selon laquelle le cas possède sa valeur sémantique propre que la préposition vient préciser à la manière d’un adverbe, ne lève pas vraiment la contradiction.La notion de rection n’apparaît pas chez Denys de Thrace (IIe s. av. J.-C.) à qui nous devons la première définition de la préposition (próthesis). Pouvant se préposer à toutes les parties de phrase (tà toû lógou mérē), elle s’assemble à celles-ci soit par composition (súnthesis) soit par construction / juxtaposition (súntaxis). Cette double aptitude syntaxique permet d’identifier les dix-huit pré-positions du grec, mais laisse confondus « préverbes » et « prépositions » (paránomon / parà nómon).
L’analyse fonctionnelle de Kuryłowicz ne remet pas totalement en cause le principe de la rection, mais change son champ d’application : ce que la préposition régit ou plutôt implique, ce n’est pas le cas de son régime, mais uniquement la désinence casuelle (morphème à signifiant discontinu). Autrement dit, dans un tour prépositionnel comme apò póleōs, « à partir de la ville », préposition et désinence casuelle obéissent à un seul choix (/apò… eōs/) et leur union formelle représente ne seule unité significative (/apò… Gén./ « A partir de »). Mais cette analyse aboutit à une distinction artificielle entre le cas prépositionnel, qui n’est qu’un sous-morphème, et le cas non prépositionnel, qui représente à lui seul une unité significative (eo in urbem / eo Romam), et de plus, se heurte au problème des prépositions à plusieurs cas, Kuryłowicz considérant que la désinence casuelle reste un trait différenciateur (par ex. : érchomai parà t-oû basil-éōs / parà t-òn basil-éā, « je viens d’auprès du roi / auprès du roi »).
Se situant dans son sillage, Ch. Touratier tente de dépasser cette aporie de deux façons : il s’agit de démontrer, d’abord qu’une même préposition peut former avec des désinences casuelles différentes des signifiants discontinus qui soient les variantes d’un même morphème (hupò g-ên = hupò g-ês eînai, « être sous terre »), ou à l’inverse avec une même désinence casuelle des signifiants discontinus qui soient des morphèmes différents (epì thrón-ou, « <il s’assit> sur le trône » ≠ epì Olúnth-ou, « <il partit> en direction d’Olynthe ») ; ensuite que le cas non prépositionnel est dans certains emplois interchangeable avec d’autres (didáskō tin-á / tin-i poieîn ti, « j’apprends à quelqu’un à faire quelque chose »), et qu’il remplit à lui seul plusieurs fonctions syntaxiques différentes qu’il est impossible de rattacher à une seule et même valeur (par ex. : les emplois de l’accusatif : durée, complément de verbe, d’adjectif, sujet de proposition infinitive, etc. ne peuvent se ramener au seul signifié « But »). La conclusion à en tirer, c’est que les cas du grec, seuls ou en combinaison avec des prépositions, ne sont que des unités morphologiques, et non des unités significatives.
Le débat reste ouvert, mais une chose aujourd’hui est sûre : il n’est pas pertinent de parler de rection dans le tour prépositionnel du grec, car ni la préposition seule ni le cas seul n’y détermine l’autre.
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